La fausse modestie
On a parlé il y a peu de l’importance et du pouvoir des compliments. De nos jours, nous avons perdu ce réflexe si sain d’exprimer de vive voix notre considération pour ceux que nous admirons ou dont nous reconnaissons le talent. A tel point que, lorsque nous recevons nous-mêmes une parole élogieuse, nous ne savons plus comment nous comporter.
La politesse nous enseigne qu’il est de bon ton d’être modeste et discret, car ce sont des qualités nécessaires à la vie en communauté. Celui qui a déjà été entouré par une bande de possesseurs de téléphones portables diffusant une musique dont la qualité est inversement proportionnelle au volume dans les transports en commun comprendra pourquoi.
C’est pourquoi, lorsqu’on nous fait l’honneur de remarquer nos talents, un élan d’humilité nous pousse souvent à minimiser nos mérites. Tous, nous avons au moins une fois prononcé ces paroles « Oh ! Tu sais, ce n’était pas grand choses ». Et bien même si cette réaction paraît saine et naturelle au premier abord, je prétends qu’elle est en fait néfaste.
La fausse modestie est le début de l’orgueil
Un excès de modestie n’est jamais que de l’orgueil déguisé, car en minimisant vos mérites, vous ne faites que grandir votre talent. Imaginez que vous félicitiez Baudelaire d’avoir écrit les fleurs du mal, et qu’il vous réponde « Oh, ben c’était pas grand chose, hein ! J’ai juste fait ça comme ça, pour me détendre. De toutes façons, j’étais bourré, alors ». Une telle retenue devient indécente. C’est comme si notre ami Baudelaire nous disait « Cette œuvre pour laquelle vous me félicitez n’était qu’un passe temps pour moi. Imaginez les chefs-d’œuvre dont je suis capable quand je m’applique. »
Ma grand-mère avait pour habitude de dire : « Ne te fais pas si petit, tu n’es pas si grand ». Cet adage ancestral résume parfaitement mes propos : à force de s’aplatir devant les louanges, on finit par obtenir l’effet inverse en devenant un monstre d’orgueil.
Apprendre à accepter les compliments
Je pense que minimiser ou refuser un compliment ne sont pas de bonnes solutions. Au contraire, des louanges doivent être considérées comme un cadeau, et refuser un cadeau est en général considéré comme quelque chose d’impoli. Il faut donc apprendre à recevoir les éloges comme il se doit : avec franchise et honnêteté.
Pour autant, accepter un compliment n’est pas si aisé. Il est facile de tomber dans l’excès inverse en faisant montre d’orgueil, et je ne connais que de très rares personnes qui méritent les louanges et sachent les accepter.
Je vais prendre l’exemple d’Éric-Emmanuel Schmitt. C’est un auteur francophone très lu et très joué qui a réalisé récemment son premier film, Odette Toutlemonde, que j’ai eu la chance de voir en avant-première. Le film était suivi d’un débat en présence du réalisateur qui répondait alors aux questions du public, lequel n’a pas tari d’éloges à propos de l’œuvre.
Il m’a impressionné par son honnêteté et… comment dire ? Il dégage une impression de vrai, et possède ce rare talent de savoir recevoir les compliments, sans les rejeter, mais sans en tirer d’orgueil non plus. En recevant les paroles flatteuses des spectateurs, Éric-Emmanuel Schmitt semblait en tirer du plaisir, sans chercher à diminuer son mérite, mais son exploit (j’ose qualifier cela d’exploit) fut de rester au niveau de son auditoire alors que celui-ci aurait voulu le placer sur un piédestal. A aucun moment il n’a laissé transparaître l’impression qu’il aurait pu se considérer comme inférieur ou supérieur à ses interlocuteurs.
C’est donc mon conseil pour cet article : si vous êtes digne de recevoir des compliments, alors ne les refusez pas. N’hésitez pas à les accepter et à remercier leurs auteurs, et surtout, évitez de tomber dans un excès d’humilité ou de vous montrer trop orgueilleux. Soyez honnête avec les autres et avec vous même, et surtout soyez vrai.